Ecoutez... les Chemins vous parlent !
Trois jours de dialogues et de fête autour de l'agriculture, de l'alimentation à travers le pays grâce aux fous de bassan!
Enracinées dans l’histoire profonde de la Loire et de la Beauce, les lettres du Pays quand elles s’envolent ressemblent aux plumes des fous de bassan ! Si blanches qu’elles en deviennent, dans la lumière, éblouissantes. Leur éclat perdure sur le sol et c’est ainsi, sans croire à un mirage, que l’on entend chanter les chemins.
Illustrant cet esprit qui virevolte de la terre à la physique quantique, Eric van Osselaer a créé en direct, dimanche 1er septembre, à Saint-Ay, une musique légumineuse à coups de basse-tèque, de flûte patatière, de pomme frottée qui rougit, de clarottinette, d’endive sifflée, de céleri bongo ou de caisson de citrouille, le tout donnant naissance à une transcendantale technaubergine…
Oui, c’est bien de la nature que les chemins nous ont parlé ! Vendredi 31 août au soir, à Lailly-en-Val, Adama, le conteur du Mali, du Sénégal ou de Sierra-Léone, s’en était d’ailleurs fait le porte-parole : « L’eau du fleuve ne retourne jamais à sa source », tonnait-il. En Afrique, la mère et l’océan répondent au même nom de Ba. « La vie vient de l’eau. »
Pélobates et salamandres
Non loin de là, quelques heures en amont de ce premier des trois jours de fêtes organisés par la compagnie balgentienne – un dispositif aussi remarquablement solaire en milieu rural -, nous cherchions l’eau, justement. L’eau qui avait disparu. Un air quasi brûlant l’avait remplacée sur une terre grise et fissurée où même les insectes ne s’attardent pas.
Où les herbes pour durer s’endurcissent, suivant l’exemple piquant des chardons. Grâce aux conseils avisés des représentants du Conservatoire des espaces naturels qui gère ce site de 80 hectares, nous pouvions découvrir dans ce milieu sec et craquant sous nos pas des fougères ou des plantes carnivores.
En d’autres temps, on y discuterait avec des perdrix, des alouettes, des grues ou des cigognes… On distinguerait le pélobate creusant avec ses coudes pour protéger dans le sable sa peau fragile de crapaud fouisseur. On observerait les salamandres s’enlacer sous les feuilles sombres tombées au pied des arbres isolés.
Connaître, respecter, valoriser
Ce jour-là, à la musique, au soleil et aux hommes, il manquait donc un élément majeur : l’eau. Plus une goutte dans ces mares recréées en plein champs à l’endroit où elles existaient dans les années 50, avant de disparaître, victimes de leur apparente inutilité, puis de réapparaître, sous l’impulsion des écologues.
Une trentaine d’espèces végétales protégées, des batraciens et des tritons s’épanouissent pourtant ici, malgré la parcellisation et l’agrochimie des années passées, malgré l’impitoyable sol d’argile. Malgré l’absence d’un système de drainage, qui limiterait certes les apports en période de pluie mais garantirait des réserves en cas de sécheresse. L’exploitation passe actuellement en bio. L’expérience dira quel impact cela peut avoir sur la faune et la flore locale, la biodiversité de ce milieu exceptionnel.
Quant à celle des Chemins qui parlent, elle a ouvert une voie qu’il nous faut tous explorer désormais. Mieux connaître notre environnement et le respecter, mieux comprendre ceux qui cultivent la terre que l’on partage et les accompagner dans le changement que l’on espère : mieux consommer, mieux se comporter. Apprendre les uns des autres. Parler aux hommes, aux femmes, aux enfants, aux anciens, parler au temps, aux fleurs, à la terre et aux chemins. Se parler et s’écouter.
La quête de sens
Entendre les Lettres prendre leur envol, portées par les voix ailées des fous de bassan ! Percevoir les doutes, les incertitudes ou les angoisses des hommes et des éléments, à propos du climat, de la pollution du sol ou de l’alimentation. Mais aussi les échos et les reflets de l’histoire, des traditions et des usages, autant que les désirs de changement, de nouveau monde et de transition. L’ambition paraît inaccessible. Mais l’idéal est à l’homme aussi vital que l’air, l’eau, la terre et le feu.
C’est peut-être cette quête d’absolu - ou cette éternelle insatisfaction qui nous habite, ou la foi qui nous étreint devant la beauté de l’aube, bref, donnez à cette pulsion de vie le nom que vous voudrez - qui a aussi inspiré au Mouliln Laurentais, à Huisseau-sur-Mauves, le développement d’une chaîne complète qui va de la semence des céréales à la commercialisation directe des pâtes, en passant par la culture et la transformation en laboratoire. Une agriculture raisonnée, fruit d’une passion familiale, que le public était invité à découvrir, le dimanche, le goût de la farine blanche dans la bouche.
C’est elle encore dont l’on capte les vibrations quand a témoigné André Fouchard, maraîcher bio, spécialiste en agrologie, le dimanche à Saint-Ay. Quand un agriculteur de Tavers a laissé une belle et sincère émotion repeindre la description qu’il a faite de son métier de céréalier. C’est cette petite note, dont l’on perçoit tous qu’elle est un bien commun mais que chacun traduit pourtant d’une façon particulière. Cette petite voix qui nous met tous d’accord mais à laquelle chacun apporte sa pondération personnelle…
Assurer la continuité
Quand les chemins parlent, ils expriment à la fois notre diversité et notre communauté, notre multiplicité et notre unité. Qu’y a t-il de plus humain finalement, que de chercher à jamais entre nous le juste équilibre entre nos différences et nos ressemblances ? Et de savoir quelle part de soi concéder à l’autre, ou, autrement-dit, quelle place reconnaître à l’autre en soi ? Le respect, la bienveillance, autant de valeurs essentielles à l’écoute et à la compréhension.
Autant de chemins à emprunter pour progresser et évoluer ensemble. Les fous de bassan ! ont permis à plusieurs centaines de personnes de faire un premier pas. D’autres mouvements actuels, ici et ailleurs, en France et à travers la planète, chacun à sa manière, en font de même. Et, si les petites gouttes d’eau font au final les grandes rivières, il s’agit désormais d’imaginer comment créer du lien entre tous ces projets vertueux pour qu’ils s’assemblent et se renforcent à la hauteur des enjeux.
A l’image des gènes qui composent notre ADN, c’est bien l’union des différences qui aboutit à l’unité et à la Vie. Hors cette entente, on ne pourra que suivre du regard l’écho de chaque effort produit, de son affaiblissement jusqu’à sa disparition. Il est donc temps d’agir. C’est ce qu’ont fait les fous de bassan !, parfois contre vents et marées, pour produire les Chemins qui parlent en 2019, après les Envolées de Lettres en 2016 et 2017, elles-mêmes suivant les Lettres de Pays de 2012 à 2014. Sept ans. C'est le commencement.